MARIVA se souvient
*Original F*
P L U S jamais V E N I S E
Généralement on quitte définitivement le domicile parental à la fin de la scolarité pour l'apprentissage d'une vie d'adulte. Pour ELLE l'école était finie en 1958 la vie sérieuse pouvait commencer ELLE arrive donc à Paris sans connaître les moindres rudiments de cette langue française à laquelle elle devrait rapidement s'initier pour poursuivre des études.
Quel rapport avec Venise ?
Un demi-siècle plus tard m'arrive
la carte postale ci-après
Dans ce monde du courrier électronique recevoir une véritable carte postale ayant réellement voyagé depuis Venise jusque dans ma boîte aux lettres est un vrai message d'amitié.
Pourtant la lecture de cet éloge jubilatoire
de la chambre chez l'habitant,
a fait remonter
d'horribles souvenirs
En 1959 ELLE vivait en France depuis plus d'un an, et le contact avec les parents se limitait à quelques lettres comme quoi tout allait bien de part et d'autre.
A sa grande surprise, fin septembre les parents débarquaient en voiture à Paris avec l'annonce qu'Elle partirait avec eux pour un voyage en Italie. - Une seule fois dans sa vie, en août 1950, ELLE avait passé huit jours de vacances avec sa mère chez des cousins sur la mer Baltique, puis les parents partaient toujours sans elle et souvent en Italie.
Fort contrariée ELLE ne souhaitait pas du tout se joindre à eux, malheureusement la proposition n'autorisait aucune contestation, - le père n'acceptait aucun refus, en ces temps-là à dix-neuf ans on devait encore l'obéissance totale aux parents, car la majorité n'était qu'à vingt et un ans.
Les douze cents kilomètres jusqu'à Venise ont dû se passer sans grands évènements, aucun souvenir n'est resté gravé dans sa mémoire. Encore chargé de bagages la première halte se devait la Place Saint Marc pour donner du grain à moudre aux pigeons. Pourquoi fallait-il suivre cette tradition incontournable et indestructible; depuis des temps immémoriaux, c'était au Sénat de Venise de prévoir à l'entretien des pigeons avec le blé des greniers publics ? La République vénitienne terminée, ce devoir a été transmis aux seuls et nombreux touristes.
Donc le cauchemar commence : sa mère savait pourtant qu'Elle avait cette forte angoisse de tout ce qui venait d'en haut, angoisse que les parents traitaient de manie déplaisante - avions ou oiseaux lui faisaient la même peur depuis la guerre; mais il fallait absolument acheter un cornet de graines à distribuer à ces bestioles et en faire la photo obligatoire avec les pigeons virevoltant autour d'elle; un de ces oiseaux déposa même le produit de sa digestion sur son épaule.
Juste une remarque :
En 2008 et en raison d'affreux dégâts la municipalité de Venise interdisait enfin et sous peine de cinq cents € d'amende, de nourrir ces volatiles en ville et sur cette Place St. Marc.
Si conosce solo un esemplare
Mais le pire allait encore venir : dénicher un gîte à Venise en septembre sans avoir réservé - même en 1959 ce n'était pas facile - l'Office du Tourisme donnait alors une "adresse chez l'habitant".
Pour la trouver on faisait une interminable "visite non guidée" le long de canaux malodorants. Où avait-on laissé la voiture ? certainement très loin. Se promener à Venise peut être un véritable plaisir sans la circulation automobile; et cette obligation piétonnière est justement la raison pour laquelle on se charge de sacs et de valises que l'on ne veut pas laisser dans la voiture garée au loin. (annotation : en 1959 il fallait encore porter les valises à bout de bras. Aujourd'hui la plupart des valises modernes sont équipées de roulettes et d'une poignée rétractable appelée « traîneau » qui facilite leur déplacement sur les surfaces planes. Toutefois, l'utilisation de ce système n'a été généralisé qu'au milieu des années 90. - La société Delsey sortait en 1972 la première valise à roulettes - source: Wikipedia)
Il paraît que l'on ne met que trente-cinq minutes pour traverser Venise du Nord au Sud; alors, sur le plan de ville remis par l'Office du Tourisme d'antan, Venise était dessinée plus large que haute, et cette traversée-là guidée par un "père sachant" se faisait probablement d'Ouest en Est ou même en diagonale. Alors les ruelles semblent sans cesse se multiplier, il faut trouver le nom du quartier, le nom de la rue, et la maison numérotée selon le quartier; le père affirme pourtant qu'il connaît bien Venise, mais qu'ils ont dû changer les numéros depuis sa dernière venue.
Enfin on arrive ! - La propriétaire informe qu'il n'y a qu'une seule grande chambre à trois lits avec un petit coin d'eau et un WC derrière un paravent. Vite on dépose les sacs et valises pour redescendre manger tout à côté quelques pâtes en sauces .
Puis très fatigué on rentre, fait une toilette de chat, les parents s'endorment.
Et LA sournoisement s'installe un bruit à faire trembler la terre entière, le père, comme une force universelle, est en train de scier les millions de pieux en chêne rouvre dont les pointes soutiennent toute la ville de Venise. Son ronflement par vagues rugissantes fera rapidement immerger la majestueuse cité lacustre. Les sols en marbre poli se fissurent déjà.
A côté de lui dort une épouse sans broncher, des siècles de nuits en commun ont rayé ce bruit effrayant de son cerveau. - La fille n'avait jamais entendu un tel son, pour la simple raison qu'au domicile des parents sa chambre était à l'étage bien isolé.
S'étant rhabillée en vitesse pour fuir ce râle démoniaque, ELLE comprend alors horrifiée la terrible évidence : la porte de la chambre est fermée à double tour de clé ! La méfiante logeuse craignait sans doute le départ des visiteurs sans laisser la somme due.
Que faire ? se rallonger sur le canapé qui lui avait été attribué, se couvrir la tête de tous les coussins et couvertures disponibles. L'exaspération devient douleur physique causée par ce tapage infernal, cette pollution sonore de plus de 150 décibels, une locomotive à vapeur combinée à un marteau-piqueur submerge l'univers.
Une techno-parade au troisième millénaire sera un doux fleuve tranquille comparée à cette force de la nature dans la nuit noire d'une chambre à Venise. Entre deux vrombissements cela s'arrête pour un court laps de temps, juste pour donner le temps à sa fille de prier qu'il s'étouffe enfin et définitivement. L'espoir est vain, le ronflement continu en semant la frayeur.
Une hache, un énorme marteau
pour exterminer enfin
cette machine diabolique !
Après cette nuit interminable, aux premières lueurs du jour, on entend la clé dans la serrure, la logeuse a dû se réveiller. - ELLE se jette dans l'escalier et tente en courant dans les ruelles étroites longeant les canaux de se libérer de la tension effrayante de cette nuit horrible. -
Plus jamais Venise
car
du fond des canaux remonte
à jamais la mémoire
d'un ronflement assourdissant
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